17 décembre 2016

Christopher Blattman, du fric, des guerres et de l'éco du dev!

Lorsque les critiques pleuvent sur les économistes, "abrités dans leur tour d'ivoire ou d'argent, trop occupés à faire mu-musent avec leurs modèles mathématiques pour prévoir les crises, aveugles et sourds à toute réalité etc", j'ai une pensée émue pour les économistes du développement qui doivent bien peu se reconnaître dans cette définition DES économistes, dont notamment Christopher Blattman dont je vais brièvement vous indiquer quelques travaux ici (et je conseille vivement à mes étudiants qui s'intéressent au développement de passer un peu de temps sur ses papiers et les questions qu'il pose).

Il fait partie des économistes qui, après de minutieuses études sur le terrain, remettent en question nos idées les plus simples sur le développement. Par exemple les aides au développement basées sur l'offre de biens (nourriture, vêtements, jouets, livres etc) abondent et semblent être une bonne idée, et elles le sont sans doute parfois, mais trop souvent les différents coûts de distribution rendent ces politiques inefficaces par rapport à quelques chose de plus simple: donner directement de l'argent aux pauvres. Prenons l'exemple d'une politique de développement agricole, le programme Girinka, qui consiste à distribuer des vaches aux familles les plus pauvres (des milliers de vaches ont déjà été distribuées et 365000 devraient l'être en 2017). Ce programme a l'air super sur le papier, le lait peut limiter la sous-nutrition des enfants et/ou être vendu sur les marchés, procurer de la viande, etc... sauf que si une vache coûte dans les 160 dollars en Inde, la dépense s'élève à 330 dollars, et le coûts devient même totalement hallucinant dans d'autres pays, 3000 dollars au Rwanda d'après Heifer International. Dans ce cas la question qui se pose est pourquoi ne pas donner de 300$ à 10 familles! 

La réponse à ce type de question (y compris pour d'autres pol) est souvent institutionnelle: 1) risque de détournement de l'argent (moins de risque avec les livres par exemple), 2) les pauvres dépensent l'argent n'importe comment (alcool, drogue etc). 

Les travaux de Blattman s'opposent à cette deuxième explication, pathétiquement paternaliste. Voici un extrait d'un article dans  Foreign Affairs que je ne pourrais résumer mieux:

"In 2010-13, we gave unconditional grants of $200 to some of the least disciplined men to be found: drug addicts and petty criminals in the slums of Liberia. Bucking expectations, these recipients did not waste the money, instead spending the majority of the funds on basic necessities or starting their own businesses. If these men didn't throw away free money, who would?"

Au delà de la politique de la vache (ou de l'autruche), Chris Blattman discute aussi ce vieil adage "Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours". Là encore l'idée est simple et attirante, il faut promouvoir l'éducation, augmenter le capital humain et les qualifications dans les pays en développement etc... Sauf que ces programmes coûtent plus chers (la Banque Mondiale dépense près d'un milliard de dollars par an dans ces politiques de training) que les bénéfices qui en sont retirés par les personnes qui suivent ces formations.

"It is hard to find a skills training program that passes a simple cost-benefit test. After repeated studies of technical, vocational, and business skills training programs, most programs do not have positive impacts, especially on men. Those that do are often so expensive that costs far outweigh benefits. And most poor people turn these programs down or drop out".

Enfin que dire du micro-crédit qui est souvent utilisé par diverses associations pour aider les personnes pauvres qui sinon n'ont pas accès au crédit (ici croix-rouge), Chriss Blattman (et une très grande majorité de travaux en éco du dev) ne l'encourage pas vraiment:

"Most microfinance is still very expensive for the borrower and has short repayment periods. Because of this, it is a poor vehicle for investments in farming or business, which require longer incubation and less costly capital. Thus it should come as little surprise that field experiments in several countries finds almost no effect of microfinance on profits or poverty. Lower interest rates and more flexible repayment terms could improve matters".

Lisez sa revue de littérature ici pour un topo passionnant sur ces questions. Ci-dessous une vidéo sur comment sortir de comportements criminels dans un pays en développement (au Libéria).



Il a analysé les causes et les conséquences des guerres dans les pays en développement (voir son article dans le JEL sur les guerres civiles) et récemment il a posé cette question à priori surprenante Can war foster cooperation? Voici la réponse:

"Individual exposure to war violence tends to increase social cooperation at the local level, including community participation and prosocial behavior. Thus while war has many negative legacies for individuals and societies, it appears to leave a positive legacy in terms of local cooperation and civic engagement"

Ses travaux de recherche sont  et il tient aussi un blog ici.

En conclusion, dire que les gens qui survivent aux guerres sont plus pacifistes, qu'il faut donner de l'argent plutôt que des objets, ce n'est sans doute pas très "esprit de Noël", mais comme vous le savez surement déjà, les économistes ont une vision quelques peu déviante des événements, et Noël ne fait pas exception à cette règle sociale ;)!

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